Pourquoi les collaborateurs choisissent-ils de travailler, même s’ils sont tellement malades que c’est pratiquement impossible ?

Maarten Vansteenkiste : « Le présentéisme trouve sans aucun doute sa source dans l’introjection, un type bien spécifique de motivation qui a fait l’objet de beaucoup d’attention dans le domaine de la psychologie de la motivation. Outre la motivation intrinsèque, à savoir la satisfaction et le plaisir que l’on retire du contenu de son travail et la régulation externe, associée au revenu qu’il rapporte, certaines personnes sont fortement motivées par un sens interne du devoir. Envers leur dirigeant et leurs collègues, par exemple, envers l’organisation dans son ensemble, ou envers leurs clients et leurs projets. »

La facette sombre de la motivation

Quel est l’effet de ce sens interne du devoir ?

Maarten Vansteenkiste : « Entremêlée à un intérêt marqué pour le travail, cette introjection crée une motivation et un engagement forts. Pourtant, cette motivation comporte une facette sombre. Comme ces personnes retirent une grande estime d’elles-mêmes de leur travail, elles ont davantage tendance à ressentir de la honte ou de la culpabilité lorsqu’elles subissent un échec. Par conséquent, certaines personnes s’épuisent sur le lieu de travail, ce qui dérègle totalement leur équilibre entre vie professionnelle et vie privée ».

Voulez-vous dire qu’elles risquent le burnout ?

Bart Teuwen : « Oui, cette éthique de travail axée sur le devoir est dangereuse, surtout lorsqu’elle est associée à une personnalité perfectionniste. La combinaison des deux constitue un cocktail explosif. Certains signes doivent en tout cas alerter l’employeur : des difficultés de concentration, des réactions émotionnelles fortes et inattendues ou de l’indifférence, une impression de morosité... Il est alors indispensable d’intervenir, car le collaborateur concerné ignorera ou minimisera les signaux. Pour cette personne, s’épancher ou relâcher la pression, c’est synonyme d’échec et de culpabilité. »

Rester à la maison ? Pas question !

Quel est le lien entre le présentéisme et la gestion de l’absentéisme ?

Maarten Vansteenkiste : « La politique d’absentéisme de la plupart des organisations met l’accent sur l’absentéisme. Nous avons trop souvent tendance à penser que les collaborateurs présents sont en assez bonne forme pour travailler. C’est un peu réducteur. Certaines personnes décident justement bien trop tard de ne plus se rendre au travail. »

Bart Teuwen : « D’une part, les dirigeants ont besoin d’un cadre clair concernant l’absentéisme, et d’autre part, ils jouent un rôle de liaison et de soutien vis-à-vis de leurs collaborateurs. En trouvant le bon équilibre entre ces deux rôles, il est possible de mettre en place une relation chaleureuse et professionnelle entre le dirigeant et chaque membre de l’équipe. Cette dernière crée une ouverture mutuelle, les intervenants ne craignent pas de montrer leur vulnérabilité et peuvent discuter de tout. »

Maarten Vansteenkiste : « Les collaborateurs s’identifient également au comportement de leurs dirigeants. Il se peut donc que vous donniez inconsciemment le mauvais exemple. Par exemple, en venant au travail lorsque vous ne vous sentez pas à 100 % ou en affichant votre déception lorsqu’un collaborateur se fait porter pâle. Dans certains lieux de travail, le sentiment de culpabilité est même délibérément attisé : vous n’allez tout de même pas laisser tomber vos collègues et vos clients ? »

Foto2

« Nous avons trop souvent tendance à penser que les collaborateurs présents sont en assez bonne forme pour travailler. »

- Maarten Vansteenkiste

Présence ou bon sens

Le présentéisme est donc parfois interprété à tort comme la preuve ultime de la motivation ?

Bart Teuwen : « En effet. C’est ainsi qu’émerge une sorte de culture "machiste" selon laquelle les collaborateurs sont davantage jugés sur leur présence plutôt que sur leurs performances ou leur bon sens. En effet, ce n’est pas parce que l’on prend un jour de congé maladie que l’on manque de motivation. À l’inverse, les collaborateurs présents tous les jours peuvent aussi être peu motivés.

La crise du coronavirus a provoqué un énorme changement d’attitude dans le débat sur le présentéisme. Soudain, si nous nous sentons fiévreux, fatigués ou que nous souffrons d’un léger refroidissement, nous devons rester à la maison. En effet, si nous venons malgré tout, nous mettons en danger nos collègues, voire la continuité des activités de l’entreprise. En tout cas, venir au bureau enrhumé ne fait plus bonne impression. »

Près de 4 personnes interrogées sur 10 souhaitent continuer à exercer une forme de travail, même si elles se sentent trop malades pour travailler toute une journée. Comment gérer ce type de situation en tant qu’employeur ?

Maarten Vansteenkiste : « Certaines personnes doivent être protégées d’elles-mêmes dans ce genre de cas, il faut le souligner. Un soutien pour maîtriser leur charge de travail leur serait peut-être utile. Cela pourrait aussi les aider à dire non à certaines tâches.

Néanmoins, cela n’est pas évident, surtout dans les environnements de travail axés sur les performances, car tous les collaborateurs doivent faire leurs preuves en obtenant des résultats. Le travail du dirigeant consiste à préserver ou à rétablir cet équilibre, mais il doit être formé et coaché pour jouer ce rôle. »

Bart Teuwen

« Venir au bureau enrhumé ne fait plus bonne impression. »

- Bart Teuwen, expert en absentéisme

Un jour de congé en guise de joker

Enfin, en tant qu’employeur, comment faire comprendre aux collaborateurs qu’il n’y a pas de mal à lâcher prise de temps en temps ?

Maarten Vansteenkiste : « Prenons un exemple de prime abord sans lien avec ce contexte : dans le domaine de la thérapie des troubles alimentaires, on vise traditionnellement une prise de poids hebdomadaire. Cependant, une clinique spécialisée a désormais mis en place un système de joker. Les personnes qui utilisent le joker ne doivent pas prendre de poids au cours de la semaine concernée. Le joker peut donner lieu à une conversation avec le patient : quelle est la source du problème ? En tant qu’employeur, vous pourriez également instaurer un système de joker de ce type. Par exemple, en donnant à vos collaborateurs la possibilité de prendre un jour de congé non planifié. »

Bart Teuwen : « Le simple fait que cette possibilité existe donne aux collaborateurs une certaine tranquillité d’esprit. Cela montre qu’en tant qu’employeur, vous vous souciez réellement de leur bien-être, qu’il est possible d’aborder tous les sujets et que vous êtes prêt à chercher des solutions aux problèmes avec eux. En bref, que vous êtes flexible. En effet, la crise du coronavirus nous a également appris qu’il est possible de travailler de façon beaucoup plus flexible que nous ne l’aurions jamais pensé. »