« Ces dernières années, la médecine de contrôle connaît une baisse de régime, observe Bart Teuwen, directeur général de Certimed, société du groupe Mensura qui offre divers services dont les contrôles médicaux, la gestion des certificats et l’analyse des causes de l’absentéisme. Les employeurs sont en demande d’une approche de l’absentéisme qui soit à la fois plus positive et globale. L’approche répressive se voit progressivement remplacée par une approche préventive inscrite dans une dynamique générale axée sur la confiance, et non la méfiance. En outre, ce qu’attend un employeur d’un contrôle médical, c’est qu’il réduise la durée de l’absence. Or, dans 93% des cas, le médecin-contrôle suit l’avis du médecin traitant. Au Sud du pays, l'effet est plus limité encore : la réduction de la durée de l’absence suite à un contrôle n’est constatée que dans 3 à 4% des cas. Dans ces conditions, il est logique que l’employeur s’interroge sur l’opportunité de mener un contrôle ! Pour autant, il ne faut pas négliger l’effet indirect du contrôle : si, quand il se lève, le travailleur sait que son absence peut faire l’objet d’un contrôle, il lui arrive de faire un autre choix. On le constate auprès d’organisations qui décident d’arrêter les contrôles : l’absentéisme de courte durée connaît alors une progression. Le contrôle médical conserve sa raison d’être, mais dans un autre contexte qu’aujourd’hui. Ce ne peut être la seule façon de lutter contre l’absentéisme. Il faut une politique plus large, à 360°, qui est très rarement présente aujourd’hui. »

Comment concevoir une gestion de l’absentéisme adaptée aux défis de votre organisation ?

Bart Teuwen : « C’est toute la différence qui existe entre une procédure d’absence et une politique d’absentéisme. La plupart des entreprises en Belgique ont des procédures — auprès de qui se déclarer en maladie, quand envoyer son certificat, quelles modalités de contrôle, etc. —, mais ça s’arrête là. Il n’y a généralement pas de vision quant à ce qu’on vise concernant la santé des travailleurs, pourquoi elle est importante, quel est le rôle que devraient prendre les managers et les collaborateurs, etc. Il s’agit d’une vision qui va plus loin que l’absentéisme et porte sur le bien-être, la prévention, l’équilibre entre travail et vie personnelle, etc. Mensura a réalisé une enquête révélant qu’à peine une organisation sur trois avait des procédures d’absence claires et, parmi elles, seules 30% avaient une réelle politique d’absentéisme. Partant de ce constat, Certimed évolue vers une organisation qui fournit des conseils et un soutien pour le développement d’une politique d’absence positive et durable. »

Quelles sont les étapes pour y parvenir ?

Bart Teuwen : « Tout part de la direction qui doit s’engager dans la démarche, avoir une vision et la soutenir. Il faut ensuite une analyse correcte de l’absentéisme. La plupart des organisations ne connaissent pas les indicateurs de l’absentéisme ou ne les suivent pas. Habituellement, les entreprises s’arrêtent au pourcentage d’absentéisme, mais qui est fort influencé par les absences de longue durée. Il faut donc aussi se concentrer sur d’autres indicateurs, comme la fréquence des absences — combien de fois le travailleur a-t-il été absent sur l’année écoulée ? —, la durée moyenne des absences, l’absentéisme zéro — le pourcentage des travailleurs qui n’ont pas été malades sur l’année écoulée —, mais aussi le taux d’engagement, la vitalité, etc. Ce n’est qu’ensuite qu’il convient de s’engager dans la formation et le coaching des managers. Souvent, on commet l’erreur de commencer par là. Si on se limite à former aux entretiens d’absentéisme, après un an, on n’observe que peu de changement. Notre approche vise à aider les organisations à créer la vision, à analyser les données et à inspirer les managers et les collaborateurs. Ce qui importe, c’est au final de faire de sa politique de bien-être une Unique Selling Proposition, un argument clé pour que les collaborateurs aient envie de continuer à travailler dans l’entreprise et que les candidats souhaitent la rejoindre. »

Qui faut-il impliquer dans une politique d’absentéisme ?

Bart Teuwen : « On l’a dit : l’engagement du top management est essentiel. Mais le rôle le plus important revient au collaborateur et à son manager. Et pas au RH, comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui. Les RH sont là pour soutenir le travailleur et le manager à chercher ensemble une solution et à améliorer leur relation de confiance. Il y a un shift à engager à ce niveau. Une série de partenaires peuvent les y aider : le médecin du travail, le médecin traitant, le médecin-contrôle… Mais il importe de démédicaliser l’absentéisme, car la médicalisation rend plus difficile la prise en charge de l’enjeu par la ligne hiérarchique. En ce sens, notre système belge de certificat médical serait à revoir. Aux Pays-Bas, il n’existe pas, par exemple. Le médecin traitant n’intervient pas pour définir la durée de l’absence : elle est du ressort de l’employeur et du travailleur, avec l’aide du médecin du travail. Au Royaume-Uni, le certificat constitue une Fit Note décrivant non pas l’inaptitude, mais plutôt ce que le travailleur est encore à même de faire… »

Que conseillez-vous pour maintenir le contact avec les collaborateurs absents pour maladie sans que ce ne soit perçu comme un signe de méfiance, voire une intrusion dans leur vie privée ?

Bart Teuwen : « Beaucoup de managers ne savent pas par où commencer. L’erreur qu’ils commettent régulièrement consiste à poser des questions d’ordre médical. Ce n’est pas leur domaine. L’important est plutôt d’explorer avec le collaborateur comment l’aider et faciliter son retour au travail. Pour pouvoir avoir ce type de conversation, il est utile d’avoir instauré auparavant un climat de confiance, par exemple via des entretiens qui abordent le bien-être du collaborateur, qui ouvrent l’échange sur des sujets personnels, qui permettent de détecter si quelque chose ne va pas, qui montrent que le manager peut être une ressource pour identifier des solutions, etc. C’est pour cela que la vision est si importante. Une fois que l’échange peut s’orienter non sur le problème médical, mais sur les conditions d’un retour au travail, on entre dans une autre dynamique. »

Une étude de Randstad montrait récemment qu’au cours des 10 dernières années, le taux de malades et d’invalides a fortement augmenté dans notre pays, et même que la hausse est plus marquée que dans le reste de l’Europe. Avec la crise sanitaire, il est plus difficile d’y voir clair. Comment évaluez-vous la situation ?

Bart Teuwen : « Au début de la crise sanitaire, on a observé une forte hausse de l’absentéisme de courte durée parce qu’il suffisait d’appeler son médecin pour obtenir un certificat. Ce type d’absentéisme a fortement diminué depuis. La problématique la plus préoccupante est celle de l’absentéisme de longue durée, déjà en forte progression auparavant et que les effets de la crise risquent d’exacerber. Cela dit, la crise est sources d’opportunités également. Avant le confinement, quand j’évoquais avec les employeurs la recherche de solutions de travail adapté pour permettre la réintégration des travailleurs absents de longue durée, la réponse était : ‘Ce n’est pas possible’, ‘C’est 100% au travail ou rien’… Or, on a vu avec la pandémie que les entreprises ont trouvé des solutions. Le télétravail a souvent été directement possible. Elles ont adapté le contenu du travail pour rester actives. Il s’agit d’un enseignement à garder. Si, avec la crise, tout a été possible, il y a moyen de faire preuve de plus d’imagination pour que les personnes en maladie puissent revenir en emploi. Donc penser non en termes de limitations, mais bien de possibilités. Quand un employeur ne peut demander une procédure de réintégration qu’après quatre mois d’absence, c’est bien trop tard. Le premier jour d’une démarche de réintégration devrait être le premier jour de l’absence. Commençons dès ce moment à envisager le retour, à explorer quelles pourraient être des possibilités de travail adapté. »

Certaines organisations ont la chance de ne quasi pas connaître d’absentéisme. Que leur conseillez-vous ?

Bart Teuwen : « La vigilance ! Car les choses peuvent changer très rapidement. Se doter d’une vision et d’une politique représente un investissement utile pour le jour où le vent viendrait à tourner, car les défis — vieillissement, impacts de la crise sanitaire, enjeux de la digitalisation, etc. — et leurs impacts sont les mêmes pour tout le monde. Tout comme les entreprises communiquent sur le ‘nombre de jours sans accident’, il est bon de communiquer sur les (bons) résultats ou les progrès en matière d’absentéisme. Célébrez vos succès de manière positive, car le comportement et l’engagement ont un impact en la matière. Chaque matin, en se levant, le collaborateur fait un choix : celui d’aller travailler ou pas. Ce choix peut différer d’une personne A à une personne B dans une même situation médicale. Influencer le comportement positivement a nécessairement un impact sur l’absentéisme. La relation de confiance et un dialogue professionnel et chaleureux rendent l'employabilité négociable. »


Source
: HR Square